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Tchekhov ou Isabelle Lafon : un théâtre de la conversation

Une Mouette. C'est un spectacle qui depuis sa création a déjà provoqué beaucoup de belles exclamations, nous en livrons ici un autre regard.

Il nous a donc été donné de rencontrer Isabelle Lafon en personne, presque en cercle, et avec elle toute la sincérité qui plaît tant dans sa mise en scène de Tchekhov. Non venue pour parler de son travail précisément, mais davantage pour le faire comprendre, elle nous somme de nous l'approprier.

À plusieurs, ce sont alors des brides choisies au hasard dans le texte La mouette, que tous, nous faisons surgir. Chaque réplique est entrecoupée d'interjections ; « elle dit que... non il dit... oui, mais elle dit que... », construisant ainsi un nouveau matériau scénique, à l'image de son spectacle à elle.

Flottement

Les yeux pleins de vie, Isabelle Lafon donne plus qu'à faire aimer le texte, elle donne à le faire vivre. « C'est comme des petites pièces, la guerre aurait tout détruit, alors du texte complet il n'en resterait que ces fragments » nous dit-elle les yeux brillants. Metteur en scène dans l'âme, elle claque des doigts, projetant les répliques sur de nouveaux personnages, sur de nouveaux lecteurs, toujours au hasard des pages. Parfois quelques silences, comme dans le texte initial, ces temps à la Tchekhov. Le flottement est authentique, les mots prennent le temps de devenir des images, et puis retombent en suspension.

Le travail qui nous a été donné de faire avec Lafon était au-delà d'une explication de son spectacle, qui risquait de devenir universitaire puisque telle en était le contexte. C'était une conversation, une recherche à plusieurs, une manière de donner encore de nouvelles pistes à ce monument dramatique déjà très monté, sans prétention. Isabelle c'est aussi cela, une figure humble. Elle nous sourit, nous avoue que son choix de costumes dans la pièce résulte aussi du manque de moyen, que la lumière lui pose encore la question de son utilité, et que simplement, ce qu'elle cherche dans son théâtre, c'est seulement d'être sincère et de sonner juste.

Ce qui vient à l’esprit quand on lit Tchekhov de manière complètement arbitraire, c'est cette incohérence. Une déformation de propos qui pose la question évidente du sens à en donner. On en comprend alors que ce qui est intéressant ce n'est plus la pertinence des mots, c'est les milliers de pistes qui traversent en tout temps ces textes. Qu'importe l'ordre dans lesquelles elles apparaissent.

Des moments rares

La pièce, amputée pour ne faire qu'une courte heure lors de sa représentation, c'est donc cela ; des mots prononcés sans vergogne par la sincérité d'un corps qui en cherche incessamment le sens. C'est contagieux.

« Ce qu'on a vécu sur scène, ce sont des moments rares... pourquoi ne pas créer des moments rares ? », nous confie Lafon à propos notamment de leur arrivé sur scène où elles traversent le long plateau de la salle de création, pleins feux. Le public les fixe, il se demande encore si ces comédiennes ne seraient pas des spectatrices en retard. Elle nous confie alors l'effroi charnel que toutes comédiennes appréhendent chaque soir à la venue de cet instant.

Toutes ces confessions c'est finalement autant d’éléments qui nous rapprochent de son œuvre. On en retient un théâtre de peu de moyens, sincère, fait avec courage, sans nier les peurs qu'il suscite, ni les faiblesses qu'il souligne.

Hors de la scène, hors de la Maison de la culture grenobloise, Isabelle évoque aussi le hors champ de Tchekhov et son importance. Ses personnages qui sans cesse cherchent à fuir le plateau, ce qu'on ne voit pas, la mort de Treplev, ce qu'on imagine comme l'immensité d'un lac qui viendrait jusqu'à la pointe de nos pieds.

Comme eux, on aura ici déserté la scène pour chercher nos résonances dans nos esprits, assis à l'université. Comme le plateau qui n'a pas de décors à porter. Comme elle qui se retrouve hors de la scène à nous en parler. Comme nous qui en parlons loin d'imaginer le porter à la scène. Comme ce théâtre de la modernité qui aujourd'hui sonne encore, surtout lorsqu'on en parle, simplement et avec conviction.

Une Mouette

Adaptation de La Mouette de Tchekhov et mise en scène d'Isabelle Lafon

A MC2 (Grenoble)

Une mouette d'Isabelle Lafon, texte de Tchekhov, Rencontre
Tag(s) : #Théâtre
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